Quand les gurus se trompent<span class="wtr-time-wrap after-title"><span class="wtr-time-number">4</span> minutes de lecture</span>

Quand les gurus se trompent4 minutes de lecture

C’est histoire d’un expert incontesté : un “guru” du marketing. C’est le récit d’un produit iconique de l’une des plus grosses entreprises de la planète. Et d’une prévision qui tombe à plat.

En 1972, une série de trois articles parus dans Advertising Age va tout faire basculer : ils seront à l’origine d’un livre qui change tout. Le thème ? Le marketing. Son nom ? “Positioning : the battle for your mind.” (En français : positionnement, la bataille pour votre esprit). Les auteurs ? Al Ries et Jack Trout.

Avec ce livre, les auteurs mettent pour la première fois un nom sur la démarche mercantile qu’appliquent les marketeurs audacieux : le positionnement.

Se positionner consiste à préempter une place dans la tête du consommateur. Les marques qui parviennent à bien se positionner touchent le jackpot. Pensez à Sopalin et vous visualisez un essuie-tout. Si je vous dis “post-it”, vous imaginez sans doute une note adhésive. Et si je vous parle de scotch, vous savez immédiatement qu’il s’agit de ruban adhésif. Ces marques sont parfaitement positionnées : elles se sont accaparé le nom de toute la catégorie de produits qu’elles représentent.

Le livre fait date et désormais, les entreprises du monde entier s’attellent à se “positionner”. Le principe du positionnement est aussi enseigné dans la plupart des grandes écoles de commerce et universités de la planète.

Et le statut de stars absolues du marketing des auteurs Al Ries et Jack Trout sera confirmé avec la publication d’un autre ouvrage nommé “22 immuable laws of branding”, les 22 lois immuables de la gestion de marque. L’une de ces 22 lois, c’est la loi de la convergence. Elle dit ceci : il faut être précis comme un laser sur un domaine particulier. Et la loi de l’extension met en garde sur la tentation d’étendre le territoire d’une marque, ce qui risquerait de la diluer.

Des lois immuables, vraiment ?

Autre date, autre lieu. Nous sommes en 2006, à Cupertino en Californie. Apple est encore connue comme étant une entreprise d’informatique. Toutefois, la firme se prépare activement à lancer un nouveau produit. Et seuls les membres d’un cercle très fermé d’intimes du charismatique patron de la firme à la pomme – Steve Jobs pour ne pas le nommer – sont au courant. Mais plus pour très longtemps.

Le 9 janvier 2007, Steve Jobs arrive sur scène pour présenter les nouveautés d’Apple. Et il avoue avoir passé une nuit blanche. Car ce qu’il s’apprête à présenter va bousculer un énorme marché.

Aujourd’hui, il ne présente pas qu’un seul produit, mais trois : un iPod avec un large écran tactile, un téléphone mobile révolutionnaire et un outil de pointe pour se connecter à internet. Sauf que ces trois produits sont réunis dans un seul appareil! Dans la salle, l’audience exulte. Vous l’avez compris. Steve Jobs annonce en grande pompe la sortie prochaine de l’iPhone.

Seulement voilà. Personne ne peut réellement prévoir le succès commercial d’un futur produit. L’iPhone n’est encore qu’une promesse. Quelle va être la réaction du marché ? Les prévisions vont bon train.

Evidemment avec l’effet découverte, les premières ventes sont excellentes. Mais sur le long terme, est-ce que l’iPhone va tenir ses promesses ?

Un éminent “guru” du marketing ose une prévision : l’iPhone d’Apple fera un flop!

Mais qui peut ainsi prédire l’échec commercial de l’iPhone ? Nul autre que le célèbre Al Ries, co-auteur de “Positioning : the battle for your mind“. Le 18 juin 2007, dans AdAge (oui, Advertising Age, le même magazine qui avait été le berceau de son best-seller 35 ans plus tôt), Al Ries publie un article qui titre « Why the iPhone will fail » (pourquoi l’iPhone va se planter).

Et il a de bons arguments. Souvenez-vous : dans son autre livre “Les 22 lois immuables du branding“, Al Ries explique qu’un produit doit être focalisé sur un domaine précis. C’est tout le contraire de l’iPhone. Après tout, Steve Jobs l’a bien présenté comme 3 produits en un seul : un iPod avec un large écran tactile, un téléphone mobile révolutionnaire et un outil de pointe pour se connecter à internet. Al Ries ne croit pas à cette convergence. Il n’a donc aucun doute : l’iPhone va couler. Et ce sera une grosse déception.

Mais chaque année suivante, les records de vente du smartphone d’Apple donneront tort à Al Ries. Et les chiffres sont vertigineux. Si 1,39 millions d’iPhones sont vendus en 2007, ce sera 11,6 en 2008, 39,9 en 2010. Mais cela ne s’arrête pas là. 150,2 millions d’unités sont vendues en 2013. Apple fera encore mieux : 217,1 millions d’iPhones sont vendus en 2018. C’est-à-dire en cumul, plus d’un milliard d’iPhones écoulés en une décennie !  (Source : Statistica)

C’est peu de le dire : l’iPhone est l’un des plus grands succès commerciaux entre 2007 et 2018.

Que devez-vous retenir ?

Tout d’abord, soyons clair : Al Ries reste un génie du marketing. Une éminence. Mais nul – et même un expert marketing de son calibre – ne peut prédire le succès ou l’échec autre que… le marché. Le marché a toujours raison.

A défaut de suivre les gurus (dans tous les domaines) aveuglément, il est préférable de voir où le marché s’oriente. C’est la seule leçon à retenir.

Et comme une sorte de clin d’œil à Al Ries et Jack Trout, l’iPhone s’est si bien ancré dans l’inconscient collectif qu’il est devenu en quelques années l’étendard de toute la catégorie des smartphones à grand écran tactile. Un excellent exemple de positionnement, non ?